Ma dernière métamorphose
Avant le mot Fin.

Si tu savais, si tu pouvais ressentir une fois, aussi petite soit-elle, la souffrance de baisser le rideau. Si tu vivais un jour, non, ce serait trop pour toi, une seconde, juste le temps de savoir le noir quand s’éteignent les projecteurs.
Si tu te mettais à ma place, dans ma peau. Connaître la souffrance qui m’habite, traverser l’aride désert qui est le mien. Comprendre, essayer, oser tenter un petit bout de chemin avec moi. Prendre ma place, l’angoisse qui m’étreint la gorge, paralyse mes jambes, serre tous mes sphyncters et me cloue au lit. Si tu pouvais voir la sclérose en plaques au fond des yeux, sa rage dévastatrice qui me ronge trop doucement. Sans espoir de retour.
Mon corps se meurt. D’ailleurs suis-je encore sur terre ? Non. Ton monde n’est plus le mien. Tes plaisirs, tes envies, tes désirs et tes jambes qui te portent vers eux, tes dodos sereins et tes calins, ne font plus partie du mien. Mon corps se ronge et je suis fatigué de survivre. Il est un fardeau, mon bourreau, ma victime, le résultat d’une âme en peine qui à trop chercher en a perdu l’essentiel. Homme, je ne suis plus.
Dans mes pensées tournent et tournent les poches d’urine, le lit médicalisé, la dernière chute. Désormais j’ai une aide de vie qui me donne mon bain. Je vis les volets fermés. Je ne peux plus sortir de mon atelier. Ni m’habiller. Je reçois encore, une serviette sur les cuisses pour cacher ma nudité. Mes mains tremblent. Un jour prochain viendra le tour de mes bras, des trous de mémoire, ils sont déjà là. Mon souffle est court. Je vis couché. Avec la peur de devoir me lever. Devant la télé. Bourré de tranquillisants et d’antalgiques. Et j’ai si froid dedans.
J’avais rêvé d’une autre fin. J’aurais tant aimé ne pas savoir ni quand ni où ! Loupé. Ce sera ici. Seul. Comme Tennessee. Très bientôt et de nuit. Car si je comptais en années, désormais c’est en semaines. De toute façon, chaque jour qui passe est un jour de trop. J’ai abandonné le combat. Je n’ai plus d’espoir. La peur m’a envahi. J’attends la fin avec impatience.
Et voilà de longues minutes que je réfléchis à une belle conclusion. J’ai vu défiler les bons moments, ces cadeaux que j’ai reçus et pas assez appréciés, ce monde que j’ai parcouru. J’ai revu mes 9 vies et pensé à papa qui me disait que je retomberais toujours sur mes pattes. Il avait raison.
Je pense à ceux que j’aime. Je veux qu’ils sachent qu’il n’y avait rien d’autre à faire ! Les protéger à tout prix de la culpabilité que l’on ressent toujours à la mort d’un être aimé, « j’aurais pu, j’aurais du en faire plus ». Je pense au monde qui tournera toujours sans moi. A tous ceux qui ont déjà fait le grand saut. Et me vient un merci la Vie. Genre ainsi soit-il.
Ca y est, j’y suis. L’inconnu m’appelle. Christian Pélier, mention décédé. Il n’y a plus d’abonné.
Et me vient un ultime sursaut de stupide espoir. Oui, je souhaite ne pas avoir écrit le mot Fin.